Il venait de Carmaux, la ville de son enfance et de sa jeunesse : on pressentait chez lui tout un faisceau d'indices qui évoquaient d'autres territoires, le Languedoc ou bien l'Espagne. Le mois de mai 1968, les années de découvertes et de turbulences qui suivirent avaient achevé de forger quelques-uns de ses réflexes, un refus profond de tout ce qui pouvait être inerte et implacablement injuste au sein d'une société. Ses appartenances, ses références, ses points de vue et ses amitiés étaient multiples : Londres, Paris, les Cévennes et puis surtout l'Afrique étaient des souvenirs et des destinations qu'il évoquait souvent.
Entre Aix et Marseille, au milieu des années quatre-vingt, la rumeur nous était rapidement parvenue, nous l'avions aperçu, nous avions voulu le rencontrer parce qu'il signait deux fois par semaine, la chronique des arts plastiques duProvençal, un journal qui ne nous avait pas habitués à fréquenter des plumes et des gens à ce point talentueux. J'essayais de ne jamais rater son papier qui paraissait "toutes éditions", le dimanche matin. Sa chronique pouvait faire penser à Alexandre Vialatte : on trouvait dans ses articles d'incroyables digressions, beaucoup de mordant, d'impertinence et de passion, de l'humour et du laconisme. Ce qu'il parvint à livrer dans ce quotidien, ce fut un véritable exercice de funambule : ses compétences et son insolence furent exceptionnelles.
Dans le texte qui vient d'être imprimé, c'est une vraie joie de pouvoir retrouver quelques-unes de ses réparties, ses inimitables retournements de situation. Par exemple quand il écrit qu'aujourd'hui "le postmodernisme est partout, jusque dans le harnachement de l'alpiniste en rappel", ou bien quand il situe l'art comme un "devoir permettant de maintenir la cohérence du monde". Après cePetit Abécédaire turlupin de fine venue, il ne faudra pas manquer de réunir ses chroniques du Provençal dans les feuilles d'un nouvel ouvrage. On retrouve sa manière de dire, la qualité et l'indépendance de ses informations dans 7.000 articulations, les chroniques de blog qu'il aura livrées sur internet en 2011, avant de devoir se taire.
Pendant ses dernières années, je n'ai pas souvent rencontré Jean-Louis Marcos. Des amis proches me disaient les soucis qui l'habitaient, sa santé qui déclinait. Il apparaissait soudainement. Il venait regarder des expositions que j'affectionnais, avec détachement et attention. On ne pouvait pas prévoir ses réactions, pas plus que ses silences. Il hochait la tête ; il pouvait être injuste, ou bien merveilleusement enthousiaste.
Mardi 2 octobre 2012, en fin de matinée, nous étions nombreux au crématorium du cimetière de Marseille, pour venir lui dire adieu. Il m'avait raconté avoir assisté une vingtaine d'années auparavant à une cérémonie identique, au même endroit, pour une artiste-peintre qui s'appelait Hélène Gava. Nous avons écouté des chants en espagnol et puis Brassens se souvenant des funérailles d'antan. Nous avons beaucoup aimé que son frère Kaïto ait choisi de citer l'ultime superbe sentence de cet Abécédaire sans dogme ni révérence, dans laquelle Jean-Louis écrit avoir choisi Frank Zappa "parce qu'il a déclaré "L'esprit, c'est comme un parachute : s'il reste fermé, on s'écrase".
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